COVID-19 en Afrique: réflexion sur le double fardeau nutritionnel
Gbekley Efui Holaly, Effoe Stéphane, Dakey Koku Amégbo, Karou Simplice Damintoti
Corresponding author: Gbekley Efui Holaly, Laboratoire de Biologie, Phytochimie, Toxicologie, Pharmacologie et d'Agroalimentaires (Bio-Phytopharma), African Herbal Academy, Lomé, Togo
Received: 24 Jun 2020 - Accepted: 26 Jul 2020 - Published: 08 Sep 2020
Domain: Malnutrition,Nutrition,Chronic disease prevention
Keywords: Double fardeau nutritionnel, COVID-19, maladies non transmissibles, malnutrition, Afrique
©Gbekley Efui Holaly et al. PAMJ-One Health (ISSN: 2707-2800). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Gbekley Efui Holaly et al. COVID-19 en Afrique: réflexion sur le double fardeau nutritionnel. PAMJ-One Health. 2020;3:2. [doi: 10.11604/pamj-oh.2020.3.2.24551]
Available online at: https://www.one-health.panafrican-med-journal.com/content/article/3/2/full
COVID-19 en Afrique: réflexion sur le double fardeau nutritionnel
COVID-19 in Africa: reflection on the double nutritional burden
Gbekley Efui Holaly1,2,3,&, Effoe Stéphane2, Dakey Koku Amégbo2, Karou Simplice Damintoti3
&Auteur correspondant
Comme toute infection aiguë, COVID-19 est une maladie à haut risque de dénutrition. Les tableaux cliniques les plus sévères de COVID-19, justifiant l´hospitalisation, sont rencontrés notamment chez les patients porteurs d´une maladie chronique, âgés et/ou polypathologiques. De plus, ces maladies masquent souvent une dénutrition protéique sous-jacente (sarcopénie) et une malnutrition définissant le double fardeau nutritionnel qui pèse sur les pays d´Afrique subsaharienne. Depuis mars 2020, le monde entier a enregistré une mortalité élevé au COVID-19 avec une comorbidité élevée liée au double fardeau nutritionnel (non pris en charge). Vu l´impact négatif du Double Fardeau Nutritionnel sur le pronostic des formes sévères du COVID-19 qui se confirme à l´échelon panafricain surtout au sud du Sahara, une prise en charge devrait être faite ou être renforcée afin de réduire les comorbidités avec un tel virus respiratoire dont les conséquences seront désastreuses. Les efforts déployés contre la COVID-19 devraient être réorientés vers la prise en charge des autres priorités de santé des Africains notamment les maladies non transmissibles et la malnutrition.
Like any acute infection, COVID-19 is a disease at high risk of undernutrition. The most severe clinical pictures of COVID-19, justifying hospitalization, are encountered in particular in patients with a chronic disease, elderly and/or polypathological. In addition, these diseases often mask an underlying protein malnutrition (sarcopenia) and malnutrition defining the double nutritional burden which weighs on the countries of sub-Saharan Africa. Since March 2020, the world has recorded a high mortality from COVID-19 with a high comorbidity linked to the double nutritional burden (not supported). Given the negative impact of the double nutritional burden on the prognosis of severe forms of COVID-19, which is confirmed at the pan-African level, especially south of the Sahara, treatment should be provided or reinforced in order to reduce co-morbidities with such respiratory virus whose consequences will be disastrous. In conclusion, the efforts deployed against COVID-19 should be redirected towards taking charge of the other health priorities of Africans, in particular non-communicable diseases and malnutrition.
Key words: Double nutritional burden, COVID-19, noncommunicable diseases, malnutrition, Africa
Les pays du tiers monde en occurrence ceux de l´Afrique subsaharienne font face depuis près d´un quart de siècle au phénomène du double fardeau nutritionnel marqué par une flambée des Maladies Non Transmissibles (MNT) sans précédent et une malnutrition chronique galopante [1]. En effet les maladies non transmissibles font 41 millions de morts par an, ce qui représente 71% de la mortalité mondiale. Chaque année, 15 millions de personnes âgées de 30 à 69 ans meurent d´une MNT et plus de 85% de ces décès « prématurés » se produisent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire qu´est l´Afrique subsaharienne [1]. Cette situation chronique due à une surconsommation des produits ultra transformés couplée à une absence d´activités physiques et à une sédentarité imposée par le secteur tertiaire s'est vu élargir avec la comorbidité liée aux maladies infectieuses et constituent ensemble une mortalité alarmante [2]. Avec l´avènement de la pandémie au COVID-19, la prise en charge des maladies non transmissibles chronique est très en alerte [3]. A cause du terrain propice offert à certaines maladies respiratoires telles que COVID-19, le double fardeau nutritionnel continue de constituer un problème majeur de santé publique surtout dans les pays à ressources très limitées particulièrement en Afrique chez les enfants de moins de 5 ans et les personnes âgées [4]. Dans bien de pays africains, la prise en charge du COVID-19, la stratégie de lutte pour endiguer l'épidémie a un effet délétère sur les politiques sanitaires de la prise en charge du double fardeau nutritionnel. En effet la détection et la prise en charge d´une situation de dénutrition ou de maladie chronique n'est plus systématique. La conséquence immédiate est la fréquence croissante d´une comorbidité qui augmente les chiffres des décès liés à la pandémie. Dès lors plusieurs interrogations peuvent être posées: la mortalité liée au COVID-19 est-elle réellement liée à une morbidité du COVID-19 ou liée à une comorbidité du double fardeau nutritionnel? Existe-t-il des arguments scientifiques plausibles démontrant l'imputabilité de la mortalité du COVID-19 au SARS-CoV-2 uniquement et pas au double fardeau nutritionnel? La recherche d´autres pistes de mortalité des personnes souffrant des maladies chroniques et de dénutrition ne serait-elle pas bénéfique?
COVID-19 et interactions avec les MNT: les MNT et la dénutrition définissant le tableau d´un double fardeau nutritionnel offre un terrain favorable au COVID-19 [3]. Selon une étude de l´Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les services de prévention et de traitement des maladies non transmissibles (MNT) sont gravement perturbés depuis le début de la pandémie de COVID-19 [5]. L´enquête réalisée dans 155 pays confirme que l´impact est mondial, mais que les pays à faible revenu d´Afrique subsaharienne sont les plus touchés. Les services de santé ont été partiellement ou complètement déréglés dans de nombreux pays. Cette situation est très préoccupante car les personnes souffrant de MNT sont plus exposées au risque de maladies graves et de décès liés à la COVID-19 [5]. Dans plus de la moitié (53%) des pays ayant répondu à l´enquête, les services de traitement de l´hypertension sont en partie ou totalement désorganisés ; dans 49% des pays, ce sont les services de traitement du diabète et de ses complications; dans 42%, les services de traitement anticancéreux et dans 31%, les services d´urgences cardiovasculaires. Les services de réadaptation sont perturbés dans près des deux tiers (63%) des pays, alors que la réadaptation est cruciale pour un bon rétablissement après une forme grave de la COVID-19 [5]. Dans la majorité (94%), des pays enquêtés, le personnel du ministère de la santé travaillant dans le domaine des MNT a été partiellement ou entièrement réaffecté à la lutte contre la COVID-19 [5]. Mais les raisons les plus fréquentes de l´interruption ou de la réduction des services sont les annulations des traitements prévus, la diminution des moyens de transport publics et le manque de personnel parce que les soignants ont été mobilisés en renfort des services s´occupant de la COVID-19.
Dans un pays sur cinq (20%) qui signalent des perturbations, l´une des principales raisons de l´interruption des services est le manque de médicaments, de produits de diagnostic et d´autres technologies [5]. Comme on pouvait s´y attendre, il y a une corrélation entre le degré de perturbation des services de traitement des MNT et l´évolution de la pandémie liée à la COVID-19. Les services sont de plus en plus désorganisés au fur et à mesure que le pays passe de la phase des cas sporadiques à celle de la transmission communautaire du coronavirus [5]. L´impact négatif de l´obésité sur le pronostic des formes sévères du COVID-19 se confirme à l´échelon mondial [6]. L´Afrique, où le premier cas de COVID-19 est apparu en Égypte en février 2020, les résultats sur les cas sévères chez les personnes de contact étroit avec les malades pourraient s'expliquer par un état pathologique assez compliqué chez le patient. La baisse d´activité physique des gens et la disponibilité des repas rapides ultra-transformés vont certainement intensifier la prévalence du surpoids et de l´obésité dans une atmosphère de confinement. Les hôpitaux limitent les admissions aux cas d´urgence, rendant les soins de santé inaccessibles, ce qui peut augmenter ou exacerber les désordres métaboliques, par manque de prise en charge des cas de comorbidités. Ainsi aucun argument solide n'est en faveur de l'imputabilité des décès des enfants et personnes âgées au SARS-CoV-2 d'autant plus que des études antérieures avaient montré la haute prévalence du facteur de risque qu'est l'obésité en cas d'infection au SARS-CoV-2 [3]. En effet, certains facteurs tels que les prédispositions génétiques, le déséquilibre du métabolisme de l´oxygène, l´obésité, la dénutrition provocant des états d´immunodéficience pourraient jouer un rôle très important sur la viabilité de SARS-CoV-2.
COVID-19 et la stratégie gagnante contre les MNT: il est indispensable que les pays trouvent des solutions innovantes pour garantir la continuité des services contre les MNT tout en combattant la COVID-19. Les efforts déployés contre la COVID-19 devraient être aussi réorientés vers la prise en charge des autres pathologies prioritaires que sont les maladies non transmissibles [3]. Le diagnostic et la prise en charge précoce des patients atteints de la COVID-19 doivent être intégrés dans la stratégie thérapeutique globale, comme pour toute situation aiguë d´agression métabolique. Face à cette situation, des mesures préventives basées sur l´éducation thérapeutique couplée à une diététique doivent être préconisées ou accentuées [1]. Ces mesures doivent faire partie d´un programme institutionnelle qui lorsqu´il est bien appliqué répondra aux problèmes de maladies chroniques dont souffre la population sur les tranches à risque que sont les jeunes citadins et les personnes âgées de plus de 65 ans.
COVID-19 et importantes interactions avec l´alimentation et la nutrition: l´une des mesures ripostes de la pandémie est l´arrêt des activités due à la fermeture de bien de structures socioéconomiques. Au fur à mesure que les moyens de subsistance des pauvres seront affectés, la faim et la malnutrition augmenteront. Si les denrées alimentaires deviennent indisponibles, inaccessibles et inabordables, la nutrition sera durement affectée, en particulier parmi les populations déjà vulnérables. Avec les mesures d´urgences notamment celle du confinement imposée avec l´avènement de COVID-19, les familles sont dans l´obligation d´appliquer des stratégies d´adaptation telles que la réduction de la fréquence, de la quantité et de la qualité des aliments consommés avec des effets potentiels à long terme [7]. Les femmes enceintes et allaitantes pourraient souffrir de carences nutritionnelles si elles ne peuvent se permettre un régime alimentaire sain et équilibré [8]. Les prix des denrées alimentaires augmentent, en particulier ceux des plus nutritives. L´accès aux aliments frais est également limité d´où un problème de sécurité alimentaire. De nombreuses petites entreprises ont fermé et il existe peu de mesures efficaces pour répondre aux besoins fondamentaux de la population, en particulier lorsque les emplois, les revenus et le pouvoir d´achat des pauvres sont affectés. Avec la saison pluvieuse commence et beaucoup ne peuvent pas cultiver, ce qui génère une insécurité alimentaire à long terme. La distanciation sociale et le confinement auront certainement un impact considérable sur la production alimentaire, en perturbant l´approvisionnement, le transport, la commercialisation et les chaînes de distribution. Si les producteurs ne peuvent pas vendre leurs produits et que les acheteurs ne peuvent pas les acheter, cela entrainera une détérioration et un gaspillage importants des denrées alimentaires. Puisque certains pays dépendent fortement des importations de denrées alimentaires, la fermeture des frontières et la réduction des activités économiques auront un impact sur la disponibilité et le prix de ces aliments. En outre, les pays exportateurs aussi subissent la pandémie d´où une diminution considérable des échanges commerciaux. En Afrique, la réduction de la production agricole et l´insécurité civile engendrent un défi supplémentaire ayant entraîné le déplacement interne de nombreuses personnes, qui ont besoin d´une aide humanitaire. La malnutrition aiguë chez les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes et allaitantes était en hausse avant même la COVID-19. La situation serait critique si l´épidémie frappe durement les pays subsahariens. En effet certains facteurs tels que le stress, la malnutrition pourraient jouer un rôle très favorable sur la viabilité de SARS-CoV-2. Pour les malades jeunes et enfant présentant les symptômes respiratoires attribués à SARS-CoV-2, toute situation, de dénutrition, d´immunodéficience peuvent être responsables [9].
COVID-19 et la contribution des nutritionnistes à la riposte au COVID-19: le plaidoyer devrait s´appuyer sur la sensibilisation des gouvernements et du public sur l´importance fondamentale de la nutrition pour la survie des personnes. Les acteurs de la nutrition devraient assurer le rôle de chef de file en matière d´alimentation saine et de régimes alimentaires sains afin de renforcer l´immunité [10]. Vu l'aspect multisectoriel de l'espace nutritionnel, tous les professionnels devraient fournir et diffuser des conseils et des stratégies en matière de nutrition : pour la fourniture et l'utilisation de denrées alimentaires, pour adopter des pratiques de manipulation sans risque des aliments, pour adopter les conseils et pratiques sur la limitation de la consommation de sucre, de sel et de graisse. Ils doivent également réaliser l'étude des régimes alimentaires en Afrique de l'Ouest générant une liste d'aliments facilement disponibles, abordables et à haute valeur nutritionnelle [10]. Une formation au jardinage domestique et à l´utilisation d´autres matériaux pour la plantation durable en l´absence de terres pourrait être entreprise. En outre, des recettes pratiques utilisant des ingrédients alimentaires disponibles localement et à haute valeur nutritionnelle pourraient être diffusées lors des campagnes d´information du public. Il est également nécessaire de fournir des informations claires sur le régime alimentaire des personnes atteintes de COVID-19, en particulier des enfants de mères affectées, et sur la manière de gérer les fausses nouvelles concernant le lien entre l´alimentation, l´allaitement et la COVID-19. La filière nutritionnelle a également un rôle de conseil auprès des autorités sur les approches ciblant les plus vulnérables pour les filets de sécurité et l´aide alimentaire dans le contexte d´un accès alimentaire réduit (physique et économique). Les nutritionnistes doivent maintenir l´attention et les ressources nécessaires à la gestion systématique des cas de malnutrition aiguë chez les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes et allaitantes, à la poursuite de l´allaitement exclusif au sein pour les bébés de moins de six mois, et à la supplémentation en vitamine A pour les enfants âgés de 6 à 59 mois. Les pays africains doivent intégrer la nutrition dans leur réponse institutionnelle en vue de circonscrire et d´atténuer la COVID-19.
En conclusion, le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 responsable de la pandémie au coronavirus-2019 (COVID-19) impose des bouleversements dans nos organisations et systèmes de santé. En cette période de la COVID-19, les établissements de santé qui ne doivent pas occulter l´importance du soin nutritionnel pour tous les patients qui le nécessitent. En Afrique, le nombre de personnes supposées malades de COVID-19 très faible pourrait être à la hausse avec une comorbidité avec les maladies non transmissibles et les situations de dénutrition. Ainsi, les efforts déployés contre la COVID-19 devraient être aussi réorientés vers la prise en charge des autres pathologies prioritaires des Africains dont le double fardeau nutritionnel marqué par un niveau de dénutrition/malnutrition et de maladies non transmissibles galopante. La détection de SARS-CoV-2 devrait être associée à la détection de tout état d´immunodéficience étant donné la primauté de l'immunité et de l'immuno-stimulation dans la contamination et la défense de l'organisme contre la COVID-19. L´immuno-stimulation est présentée dans le domaine des aliments et des compléments alimentaires, comme une augmentation de la capacité à résister à une infection par exemple virale, ou bactérienne en période hivernale, par une augmentation de l´efficacité ou de l´ampleur de la réponse de l´organisme. Elle est un facteur de première intention pour le traitement de maladies infectieuses telles que la COVID-19. Le diagnostic nutritionnel et la prise en charge nutritionnelle précoce des patients atteints de la COVID-19 doivent être intégrés dans la stratégie thérapeutique globale, comme pour toute situation aiguë d´agression métabolique. Il y va de l'efficience dans la mise en œuvre des politiques de santé publique.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.
Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.
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