Evaluation des risques professionnels chez les menuisiers aluminium de la commune de Ratoma, Conakry de 2021 à 2022: étude transversale

¹Service de Médecine du Travail, Faculté des Sciences et Techniques de la Santé, Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, Guinée, ²Service de Médecine Légale, CHU Ignace Deen, Conakry, Guinée

^&Auteur correspondant
Fanta Oularé, Service de Médecine du Travail, Faculté des Sciences et Techniques de la Santé, Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, Guinée

Introduction    

La sécurité et la santé au travail sont dominées par un souci quasi exclusif de lutter contre les accidents du travail et les maladies professionnelles [1]. L'évaluation des risques professionnels (EvRP) étant le fondement de toute politique de prévention, permet, de repérer les risques importants et d'élaborer les plans d'actions appropriés. Les facteurs professionnels pèsent d'un grand poids sur la santé des populations. Les maladies d'origine professionnelles sont nombreuses et diverses: cancers, troubles de l'audition, affections respiratoires, affections articulaires, troubles musculo-squelettiques, troubles psychologiques et dépressifs, troubles dermatologiques et allergiques, asthmes professionnels, troubles de la reproduction, maladies cardio-vasculaires, etc. Les facteurs de risque sont eux-mêmes très nombreux et de natures variées: les nuisances chimiques, physiques et biologiques, les contraintes posturales, la charge mentale et le stress, les horaires atypiques, le rythme de travail, etc.

Au total, les risques professionnels ne concernent pas seulement une pathologie ou un déterminant, mais un monde immense. Les risques pour la santé susceptibles d'être générés par les conditions du travail et les expositions professionnelles sont dans l'ensemble mal connus et sous-estimés. Ces défaillances concernent aussi bien la connaissance scientifique des effets sur la santé des facteurs professionnels que la connaissance de la fréquence des expositions et des problèmes de santé au niveau de la population [2]. Selon l'Organisation Internationale du Travail (OIT) en avril 2017, plus de 2,3 millions de morts et 300 millions d'accidents provoquant des blessures sont dénombrés chaque année sur les lieux du travail [3]. En France, les statistiques 2010 et 2011 de la Caisse de Protection Sociale de la Nouvelle Calédonie (CPSNC) éditées début 2012 révèlent une forte incidence des accidents du travail dans le secteur de la menuiserie aluminium, tous métiers confondus. Partant de l'hypothèse que la menuiserie aluminium représente un secteur accidentogène, 51 accidents de travail avec arrêt des activités ont été recensés par la CPSNC, propulsant l'indice de fréquence de ce secteur à 235 alors qu'il est de 91 pour le bâtiment et 49 pour l'ensemble de la population active du régime CPSNC [4].

En Côte d'Ivoire, comme partout ailleurs en Afrique subsaharienne on constate un déficit en matière de prévention des risques professionnels au profit de la médecine curative. En effet, dans les établissements relevant du secteur informel, les conditions de travail sont nettement plus dégradées; on y travaille sans respecter la législation du travail et sans protection sanitaire et sociale. Les activités, s'exercent aussi dans les locaux inadaptés, un environnement pollué et les travailleurs sont formés sur le tas avec un faible niveau scolaire. Les dispositifs de prévention sont également absents dans la plupart des ateliers et les risques professionnels méconnus par la majorité des travailleurs [5]. Au Sénégal, selon Dia et al. les locaux des ateliers étaient mal éclairés, le sol et les aires de circulations encombrés. La majorité des ateliers ne possédait pas d'ouvriers secouristes. Seuls quatre ouvriers (3,8%) possédaient des équipements de protection individuelle [6].

En Guinée, il n'y a pas eu d'étude sur l'évaluation des risques professionnels dans le secteur de la menuiserie aluminium. Ainsi, l'absence de données antérieures sur le sujet, la méconnaissance des risques professionnels par les menuisiers aluminium et la nécessité de faire connaitre ce phénomène et les risques qui y sont associés ont motivés le choix du thème: évaluation des risques professionnels chez les menuisiers aluminium de la commune de Ratoma, Conakry de 2021 à 2022. Pour mener ce travail à bien, nous nous sommes fixés les objectifs spécifiques suivants: 1) décrire les caractéristiques sociodémographiques du personnel de la menuiserie aluminium; 2) identifier les risques professionnels chez les menuisiers aluminium; 3) déterminer le niveau de risque (criticité); 4) identifier les mesures de prévention adoptées dans les ateliers de menuiserie aluminium.

Méthodes     

Contexte et population de l'étude

Il s'agissait d'une étude prospective de type descriptif d'une durée d'un an allant du 01^er mars 2021 au 28 février 2022. La commune de Ratoma a servi de cadre pour la réalisation du cadre d'étude. La commune de Ratoma est l'une des cinq (5) communes de la ville de Conakry. Elle est composée de 19 quartiers et couvre une superficie de 62km² avec une population de 801748 habitants en 2022. Elle est limitée au nord par l'océan atlantique, au sud par la commune de Dixinn et de Matam, à l'ouest par l'océan atlantique et à l'est par la commune de Matoto et la préfecture de Dubréka.

Population cible: nous avons ciblé tous les menuisiers aluminiums de la commune de Ratoma.

Population d'étude: les menuisiers aluminium informels de la commune de Ratoma qui répondaient à notre critère de sélection ont constitué notre population d'étude.

Critères de sélection

Critères d'inclusion: étaient inclus dans notre étude, tous les menuisiers aluminiums du secteur informel de la commune de Ratoma, qui ont donné leur consentement éclairé de participer à notre étude.

Critères de non inclusion: n'ont pas été inclus dans notre étude, les menuisiers aluminium exerçant dans le secteur formel et ceux informels qui ont refusé de participer à notre étude.

Les variables d'étude

Elles sont quantitatives et qualitatives.

Les variables quantitatives incluaient l'âge, l'ancienneté au poste, la durée de travail par jour, le niveau d'instruction.

Les variables qualitatives incluaient: le genre, masculin et féminin, la situation matrimoniale et les risques d'exposition à savoir: la manutention manuelle, les risques liés aux contraintes posturales, les risques liés au bruit, à la vibration, risques chimiques, les risques d'électrisation-électrocution, les risques liés aux outils de travail et les risques psychosociaux.

Ressource de données et mesure

Outil de collecte de données: une fiche d'enquête préétablie et la matrice de criticité nous a servi de support.

Collecte de données: après identification des ateliers effectuée dans la commune, nous avons procédé à l'interview directe des menuisiers aluminium dans les locaux des ateliers à l'aide du questionnaire constitué sur une fiche d'enquête.

Echantillonnage/modalité de recrutement

Nous avons procédé à un recrutement exhaustif des menuisiers aluminium de la commune de Ratoma qui répondaient à nos critères de sélection. La taille de l'échantillon a été définie à partir de la formule suivante:

n = 237

n: taille d'échantillon minimale; t: niveau de confiance (la valeur type du niveau de confiance de 95% sera 1,96); P= proportion des accidents du travail chez les menuisiers aluminium= 81%; m: marge d'erreur (5%). Les calculs ont donné une taille minimale de 237 menuisiers aluminium.

Analyse des données

Les données ont été saisies à l'aide des logiciels Word, Excel, Power Point du Microsoft et analysées par Pack Office 2016 et Epi info version 7.2.2.6 (Tableau 1). Pour évaluer la criticité des risques, deux paramètres ont été pris en compte: la gravité du dommage redouté (noté G) et la fréquence d'exposition des travailleurs (noté F).

Pour chaque risque identifié, une cotation selon la matrice de criticité (grille allant de 1 à 16) a été effectuée. Pour ce faire, nous avons multiplié la fréquence d'exposition par la gravité. Les risques ainsi cotés ont été hiérarchisés afin de dégager des priorités en vue de programmer des actions de prévention/protection.

Niveau de risque ou criticité= Gravité x Fréquence. 1) risque classé de 1 à 3: priorité faible/risque secondaire; 2) risque classé de 4 à 8: priorité modéré/risque important; 3) risque classé 9 à 16: priorité élevée/risque élevée.

Présentation des résultats

Les résultats ont été présentés sous forme de tableaux. Nous avons considéré les facteurs de confusion possibles dans notre analyse.

Considérations éthiques

Sur le terrain, l'objectif de l'étude a été expliqué aux menuisiers aluminium et leur consentement verbal a été obtenu. Les informations ont été recueillies sous anonymat des participants. Tous les menuisiers aluminiums de la commune de Ratoma, qui ont donné leur consentement éclairé de participation ont été inclus dans notre étude.

Résultats     

Nous avons enregistré 237 menuisiers aluminium dans 50 ateliers informels de la commune de Ratoma avec une moyenne de 4-5 ouvriers par atelier.

Les données sociodémographiques

Le genre: les ouvriers étaient tous de sexe masculin.

L'âge: l'âge moyen de notre population d'étude était de 21, 12 ± 6, 74 ans avec les extrêmes de 7 et 45 ans; la tranche d'âge la plus représentée était celle des 16-29 ans soit 71,73% des participants, suivie de celle des 7-15 ans (19,41%). La tranche des 30-41 quant à elle représentait 8,01% des participants.

Le niveau d'instruction: 74,69% des enquêtés avaient déclaré avoir fait des études dont 38, 40% et 36,29% et avaient respectivement des niveaux primaire et secondaire.

Evaluation du niveau d'exposition des menuisiers aux risques professionnels (Tableau 2)

Dans notre série, plus de la moitié des ouvriers étaient exposés aux postures débout prolongée (78,30%) et accroupie (65,96%) avec un niveau avec un niveau de risque faible. Une large proportion des ouvriers était également exposée au port de charges lourdes (manutention manuelle soit 72,15%), risques d'électrisation-électrocution (80,34%), ainsi qu'à la vibration des mains (soit 72,34%) et au bruit (79,57%) tous avec une criticité moyenne. De même, plus de 2/3 des enquêtés étaient exposés aux produits inflammables (98,72%), aux outils (scieuses, vitres, etc.) (81, 66%) à la poussière de polyvinyl chloride (PVC) tous avec une criticité élevée.

Mesures de prévention en place

Les installations de protection collective principalement l'aspirateur de poussières métalliques et de polyvinyl chloride (PVC), étaient absentes dans tous les ateliers visités. Le défaut de port d'équipements de protection individuelle adaptés au travail a été également constaté chez la majorité des menuisiers aluminium. Les ouvriers enquêtés n'utilisaient pas de tenues ou combinaisons de travail, ni de gants adaptés pendant le travail, pas d'appareils de protection respiratoire appropriés, ni de protecteurs auditifs, pas de lunettes ni de chaussures et casques de sécurité dans les proportions respectives de 96,20%, 76,79%, 91,98%, 96,62%, 78,06%, 91,14%.

Discussion     

Nous avons mené une étude prospective de type descriptif pour évaluer les niveaux d'exposition aux risques professionnels des menuisiers aluminium du secteur informel de la commune de Ratoma, déterminer le niveau de risque (criticité) et identifier les mesures de prévention adoptées dans les ateliers. Les limites et difficultés rencontrées étaient: l'absence des données statistiques sur la menuiserie aluminium dans la commune de Ratoma, le manque de coopération des menuisiers aluminium lié aux vols et aux arnaques dans les ateliers et la situation sanitaire liée au COVID-19. Nous avons enregistré 237 menuisiers aluminium dans 50 ateliers informels de la commune de Ratoma.

Les données sociodémographiques

L'âge moyen de notre population d'étude était de 21,12 ± 6,74 ans avec les extrêmes de 7 et 45 ans; la tranche d'âge la plus représentée était celle de 16 à 29 ans soit 71,73% avec une ancienneté de 21 à 29 mois. Yéboué Kouamé et al. [5] en 2010 en Côte d'Ivoire avaient trouvé un âge moyen de 27 ans (+/- 10) avec des extrêmes allant de 7 à 60 ans. Les travailleurs âgés de 20 à 50 ans représentaient 72,5% de la population d'étude qui était exclusivement composée d'hommes. La présence massive des jeunes dans les ateliers pourrait s'expliquer par le fait que la jeunesse est le stade idéal de l'apprentissage et que ce métier aspire plus la nouvelle génération du fait de l'utilisation massive des produits vitrés (portes, fenêtres, etc.) sur les maisons et donc la croissance économique de ce secteur.

Le genre: la totalité de nos enquêtés étaient des hommes et essentiellement célibataires soit 74,68%. L'absence des femmes dans cette étude pourrait s'expliquer par le fait que ce travail sollicite beaucoup d'effort physique et est réputé être pour les hommes.

Le niveau d'instruction: 74,69% de nos enquêtés avaient déclaré avoir fait des études dont 38,40% avaient le niveau primaire. Une étude menée au Sénégal en 2013 avait trouvé que le taux de scolarisation des ouvriers était entre 55% à 56% dont 66% avaient le niveau primaire [7]. Ce résultat pourrait s'expliquer par le fait que pour les ouvriers, la menuiserie aluminium est la meilleure alternative en cas d'échec scolaire ou de non scolarisation à cause de sa rentabilité économique considérable.

Les risques d'exposition

Dans notre étude, la majorité des travailleurs étaient exposés au port de charges lourdes soit 72,15% avec une criticité moyenne. Litim et al. [8] en 2012 avaient trouvé que de nombreux travailleurs présentaient des troubles musculosquelettiques, plus ou moins invalidants, et ces troubles avaient des conséquences directes sur la pénibilité ressentie. Ce résultat pourrait s'expliquer non seulement par la méconnaissance des effets relatifs au port de charges lourdes sur la santé par les ouvriers, mais aussi par le manque de moyen mécanique utile à la manutention des objets lourds. De même, la majorité des ouvriers étaient exposés à des postures contraignantes: posture débout prolongée 78,30% avec un niveau de risque moyen et la posture accroupie 65,96% avec un niveau de risque mineur. Une étude menée en Tunisie en 2018 avait trouvé que le mécanisme lésionnel prédominant était la manutention de charges lourdes rapportée dans 45,4% des cas. La glissade ou la chute, notée chez 37,9% des victimes, occupait la deuxième place [9]. Ce résultat pourrait s'expliquer par l'absence dans les ateliers de table d'assemblage pour les travaux de finition et d'équipement mécanique de manutention.

Plus de 2/3 des enquêtés étaient exposés au bruit soit 79,57% avec une criticité moyenne, environ 93,62% étaient exposés à un l'éclairage insuffisant. Egalement, une large proportion des ouvriers était exposée à la vibration des mains soit 72,34% avec une criticité moyenne. Dia et al. [6] au Sénégal avaient aussi retrouvé que tous les ouvriers étaient exposés au bruit, aux vibrations, à la chaleur et aux risques d'incendie et d'explosion avec dans chez certains des effets sur leur santé. Ce résultat pourrait s'expliquer non seulement par la méconnaissance des dangers liés à la vibration sur la santé, mais aussi par le fait que l'utilisation d'équipements de protection individuelle notamment les gants anti-vibratiles n'était pas une priorité chez les menuisiers aluminium.

Dans cette enquête, nous avons trouvé que plus de 3/4 des travailleurs étaient exposés à la poussière de polychlorure de vinyle pendant le découpage des PVC soit 81,66% avec une criticité élevée. Ce résultat pourrait s'expliquer par la manipulation de ces matériaux sans protection individuelle par les ouvriers et par l'absence de ventilation des ateliers. La plupart des ouvriers étaient exposés au risque électrique soit 80,34% et aux produits inflammables soit 98,72% (hydrogène) avec des criticités élevées. Une étude menée au Benin 2016 avait trouvé que l'exposition directe aux poussières métalliques (38,52%) et la consommation d'aliments au poste de travail seraient à l'origine d'une imprégnation métallique [10]. Ce résultat pourrait s'expliquer non seulement par la non prise en compte des risques électriques, mais aussi par le manque de connaissance sur les risques professionnels relatifs aux copeaux d'aluminium par les menuisiers aluminium.

Plus de 2/3 des travailleurs étaient exposés aux outils (scieuses, vitres, etc.) soit 76,69% avec une criticité très élevée. Ale et al. [11] avait trouvé que la zone de stockage présentait le nombre attendu de décès le plus élevé (2,8 x 10^-−4/an), suivie de la zone de traitement de surface (2,54 x 10⁴an) et de l'unité d'extrusion (1,7 x 10^-−3/an). Ce résultat pourrait s'expliquer par le manque aspiration des ateliers et la non disponibilité des équipements de protection individuelle adaptés, mais aussi par leur mauvaise utilisation par les ouvriers.

Conclusion     

Les activités de menuiseries aluminium relevant du secteur informel s'exerçaient dans des locaux inadaptés, dans un environnement pollué avec des travailleurs qui avaient un faible niveau scolaire. Les dispositifs de prévention collective étaient absents dans la plupart des ateliers et les risques professionnels méconnus par la majorité des menuisiers aluminium, ils ne disposaient pas d'équipements de protection collective (aspirateur de poussières) ni de protection individuelle (bouchons d'oreilles, les lunettes et chaussures de sécurité, gants, etc. ce qui les exposait à plusieurs risques pour la santé. Une autre étude avec des bilans biologiques et radiologiques pourrait renforcer les résultats de cette étude.

Recommandations

Ces risques peuvent cependant être diminués en intégrant la prévention primaire dès la conception des locaux de travail, par la mise à disposition ainsi que l'utilisation appropriée des équipements et mesures de protection collective et individuelle, la formation professionnelle et la prise en compte du secteur informel dans la législation nationale du travail.

Conflits d'intérêts     

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

Contributions des auteurs     

Fanta Oularé, Namoudou Conde, Hassan Bah, Selly Camara, Helie Laurent ont participé à la rédaction du manuscrit. Tous les auteurs déclarent avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.

Tableaux     

Tableau 1: matrice de cotation des risques professionnels (paramètre de cotation)

Tableau 2: répartition des menuisiers aluminium selon la cotation des risques professionnels identifiés (N= 237)

Références