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Research

Phénomène de "seconde victime" chez les prestataires de soins en réanimation et au bloc opératoire à Antananarivo - Madagascar

Phénomène de "seconde victime" chez les prestataires de soins en réanimation et au bloc opératoire à Antananarivo - Madagascar

"Second victim" phenomenon among healthcare providers working in the Intensive Care Unit and Operating Room in Antananarivo, Madagascar

Aurélia Rakotondrainibe1,&, Harifetra Mamy Richard Randriamizao2, Celeste Fortune Youmbi Pouokam3, Ratsaraharimanana Catherine Nicole Rakotoarison3

 

1Faculté de Médecine de Toamasina, Centre Universitaire Régional de Toamasina, Toamasina, Madagascar, 2Faculté de Médecine de Fianarantsoa, Centre Hospitalier et Universitaire de Tambohobe, Fianarantsoa, Fianarantsoa, Madagascar, 3Faculté de Médecine d'Antananarivo, Université d'Antananarivo, Antananarivo, Madagascar

 

 

&Auteur correspondant
Aurélia Rakotondrainibe, Faculté de Médecine de Toamasina, Centre Universitaire Régional de Toamasina, Toamasina, Madagascar

 

 

Résumé

Introduction: le phénomène de « seconde victime » est un sujet d'actualité, mal connu à Madagascar. L'objectif principal de cette étude était de déterminer les conséquences sur les prestataires de soins des évènements indésirables graves (EIG).

 

Méthodes: une étude observationnelle a été réalisée entre février et avril 2019, auprès des prestataires de soins impliqués dans au moins un EIG, des services de réanimation et bloc opératoire de cinq Centres Hospitaliers Universitaires d'Antananarivo. Des tests d'association bivariée et de comparaison ont évalué la relation entre EIG et conséquences auprès des prestataires de soins et de comparer les pathologies avant et après le travail en réanimation/bloc opératoire (SigmaPlot® 14.0).

 

Résultats: après un retour de 93%, 86 fiches des enquêtés, surtout des médecins assistants (36%), à majorité féminine (sex ratio = 0,91), âgés de 37 [21-61] ans, ont été retenues. Sur le plan émotionnel, la tristesse était corrélée avec les EIG ayant entrainé des aggravations. Plus le prestataire de soins était impliqué dans plusieurs évènements indésirables graves entrainant le décès, plus il ressentait de l'empathie. Des symptômes psychologiques, dominés par la remémoration (50%), étaient ressentis par le prestataire de soins au-devant des EIG, sans que leur survenue ne fût corrélée avec leur type et leur nombre. Des pathologies chez les soignants sont apparues en travaillant dans ce milieu (p=0,0114).

 

Conclusion: le syndrome de « seconde victime » est réel en réanimation/bloc opératoire auquel des mesures de soutien et suivi devraient être préconisées pour les soignants.


Introduction: the "second victim" phenomenon is a current issue that is not well known in Madagascar. The purpose of this study was to determine the impact of serious adverse events (SAE) on health care providers. Methods: we conducted an observational study among healthcare providers who were involved in at least one SAE in the Intensive Care Units and Operating Rooms of five University Hospital Centers in Antananarivo between February and April 2019. Bivariate association and comparison tests were used to evaluate the relationship between SAEs and their outcomes for healthcare providers, and to compare pathologies before and after working in intensive care/operating rooms (SigmaPlot® 14.0). Results: with a response rate of 93%, 86 survey forms from respondents, mostly assistant doctors (36%), predominantly women (sex ratio = 0.91), aged 37 [21-61] years, were analyzed. Emotionally, sadness was correlated with SAEs resulting in aggravations. The more healthcare providers were involved in multiple serious adverse events leading to death, the more empathy they felt. Psychological symptoms, mainly dominated by recollection (50%), were experienced by healthcare providers in the presence of SAEs, although their occurrence was not correlated with their type or number. Pathologies among healthcare providers emerged from working in this environment (p=0.0114). Conclusion: the "second victim" syndrome is real in intensive care/operating rooms. Then support and monitoring measures should be recommended for healthcare providers.

Key words: Adverse effects, medical errors, healthcare providers, hospital anesthesia, intensive care service

 

 

Introduction    Down

Lorsqu'il existe un événement indésirable grave (EIG), le patient est la « victime évidente » et les membres de la famille peuvent être considérés comme « premières victimes » de l'incident. La notion selon laquelle les prestataires de soins soient ou puissent être des « secondes victimes » de tels incidents est moins bien reconnue [1]. Ces « secondes victimes » sont des prestataires de soins de santé émotionnellement et physiquement traumatisés après avoir subi un événement indésirable imprévu et qui, par la suite, ont du mal à gérer leurs émotions [2]. Un événement indésirable est un évènement clinique ou paraclinique, non désiré et défavorable pour le patient, imputable aux soins et non à l'évolution naturelle de la maladie [3]. Il est considéré comme grave s'il était associé à un décès, et/ou à une menace vitale et/ou à une incapacité à la fin de l'hospitalisation et/ou à une prolongation de la durée d'hospitalisation d'au moins un jour [3].

Peu de recherches ont abordé l'impact psychologique spécifique du travail en anesthésie et réanimation chez les soignants. Les rares études menées en service de réanimation ou de soins intensifs ont plutôt mis l'accent sur les conséquences psychologiques sur les patients ou sur les familles, d'un séjour en réanimation [4,5]. À Madagascar, les prestataires de soins de santé pourraient être de potentielles « secondes victimes » du fait que des événements indésirables graves (EIG) peuvent survenir à tout moment, en particulier dans les services de soins intensifs, de réanimation et/ou au bloc opératoire. Le fait que cet effet de « seconde victime » soit encore très peu étudié a suscité l'intérêt de réaliser cette étude, dont l'hypothèse était que « le prestataire de soins des services de réanimation et du quartier opératoire des centres hospitaliers universitaires (CHU), ayant déjà fait face à au moins un EIG, aurait pu être victime d'un impact émotionnel et/ou somatique après la survenue de cet EIG », ce qui aurait alors pu altérer la vie professionnelle comme la vie personnelle. L'objectif principal était ainsi de déterminer les conséquences de ces EIG sur le prestataire de soins après avoir déterminé la fréquence des EIG dans les services de réanimation et au quartier opératoire.

 

 

Méthodes Up    Down

Conception de l'étude

Il s'agit d'une étude observationnelle, prospective, descriptive sous forme d'enquête, transversale et multicentrique réalisée dans les services de réanimation/quartier opératoire de cinq centres hospitaliers universitaires (CHU) d'Antananarivo.

Cadre de l'étude

L'étude a été réalisée dans les centre hospitaliers suivants: le Centre Hospitalier Universitaire Joseph Ravoahangy Andrianavalona (CHU JRA - à vocation principalement chirurgicale), le Centre Hospitalier Universitaire Joseph Raseta Befelatanana (CHU JRB - à vocation médicale), le Centre Hospitalier Universitaire Anosiala (à vocation médico-chirurgicale), le Centre Hospitalier Universitaire de Gynécologie Obstétrique de Befelatanana (CHU GOB - centre de référence de niveau III en matière de gynécologie obstétrique), le Centre Hospitalier Universitaire Joseph Dieudonné Rakotovao (CHU JDR - spécialisé en odontostomatologie). Cette enquête a été effectuée sur une période de deux mois allant de février à avril 2019. Les données ont été collectées, sous forme de questionnaires pré-testés anonymes. Le remplissage de la fiche d'enquête était réalisé dans l'immédiat ou en différé selon la disponibilité de l'enquêté. Pour ce dernier, un rendez-vous pour la récupération du questionnaire dument rempli était fixé. Un questionnaire à quatre rubriques a été rédigé en compilant des données inspirées de la littérature [6-8].

Population de l'étude

La population de l'étude était représentée par les prestataires de soins impliqué(e)s dans au moins un EIG, travaillant au sein des services des cinq CHU d'Antananarivo sus-cités, exerçant dans les services de réanimation et/ou dans les quartiers opératoires attenant auxdits services et ayant accepté de répondre aux questionnaires. Ces prestataires de soins en question étaient les médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR), les médecins assistants (généralistes et/ou avec diplôme d'université (DU)), les médecins en formation spécialisante en anesthésie-réanimation, les infirmiers anesthésistes diplômées d'État (IADEs), les infirmiers généralistes. N'ont pas été considérés, les prestataires de soins absentes, en congé lors de l'enquête et ceux/celles ayant refusé d'y participer ainsi que les apprenants en cours de formation non spécialisante.

Les questionnaires exclus étaient ceux qui étaient mal remplis ou dont des réponses à certaines questions manquaient en terme d'EIG et/ou des conséquences liées à cet/ces EIG. L'étude ayant été réalisée sous forme d'enquête, seuls ceux consentant à remplir le questionnaire étaient considérés. Aucun participant n'a été forcé d'y participer, leur intégration à l'enquête a été faite de leur plein gré.

Paramètres et variables

Critères analysés

Caractéristiques de la population d'étude: en plus de l'âge, le genre, la situation matrimoniale: 1) caractéristiques professionnelles (hôpital d'activité, service au moment de l'étude: réanimation des urgences, réanimation chirurgicale, réanimation adultes, réanimation médicale et bloc opératoire (selon le centre hospitalier)); 2) titres et fonctions; 3) antécédents des prestataires de soins avant de débuter le travail en réanimation/bloc opératoire afin de distinguer les répercussions sur la santé du travail des autres causes de pathologies déjà présentes).

Données sur les EIG vécus (relatés par les participants): 1) type d'EIG ayant entrainé une complication grave (exemples: arrêt cardio-respiratoire, état de choc de tout type, arrêt respiratoire hypoxique, anaphylaxie, œdème pulmonaire secondaire à un remplissage peropératoire massif, embolie pulmonaire grave, etc) ou un décès; 2) caractéristiques des EIG: fréquence de survenue, circonstances de survenue (lors des gestes de réanimation ou des procédures d'anesthésie ou « autre »), causes (fatigue importante, manque d'expérience, manque de connaissance, hésitation ou « autre »).

Impacts de l'annonce de l'EIG: 1) ressenti émotionnel lors de l'annonce d'un EIG; 2) ressenti des symptômes physiques; 3) ressenti des symptômes psychologiques (remémoration, retrait devant un même cas, dépression, autres; 4) impact sur l'éventuelle apparition d'un Burnout Syndrom (BOS): ressenti d'un épuisement émotionnel, sentiment de dépersonnalisation/« déshumanisation », sentiment d'une diminution de l'accomplissement professionnel; 5) répercussions professionnelles des EIG: éventuel arrêt ou non du travail, pensée à se retirer, pensée à changer sa vie professionnelle, impact sur la prise en charge future; 6) pathologies développées au cours du travail en réanimation/bloc opératoire. Le critère de jugement principal était l'impact (psychologique et/ou émotionnel et/ou physique) des évènements indésirables (EIG) sur le personnel soignant. Le critère de jugement secondaire était représenté par les EIG eux-mêmes.

Biais

L'étude réalisée aurait pu avoir certains biais tels que: a) la sélection exhaustive des médecins, sans détermination exacte des caractères communs réels, l'échantillon réduit à des spécialités données de la médecine (anesthésie-réanimation et urgences); b) un échantillon restreint des structures hospitalières: ici ont été concernés les centres universitaires, sans avoir pris en compte les autres centres de santé (de base, régional et de district): la participation des soignants des autres structures aurait peut-être apporté plus d'informations; c) l'influence de la distribution des fiches d'enquête par un enquêteur, du passage par les modalités des voies hiérarchiques, de la durée de réponse des médecins qui auraient pu influencer les réponses fournies par le soignant enquêté.

Taille de l'échantillon

La taille de l'échantillon a été déterminée par le nombre de participants à l'enquête et répondant aux critères définis par l'étude.

Variables de l'étude et plan d'analyse

Les données recueillies ont été saisies dans Excel® et analysées avec SigmaPlot®14.0. Les variables quantitatives sont exprimées en médiane avec extrêmes et les variables qualitatives sont exprimées en proportions. Une analyse de corrélation bivariée a été utilisée pour l'étude des associations, le test de Wilcoxon pour comparer les pathologies avant et après le travail en réanimation/bloc opératoire des prestataires de soins. Une valeur de p inférieure à 0,05 est considérée comme significative.

Éthique

Avant de réaliser l'étude, l'obtention de l'accord des directeurs d'hôpitaux et des chefs de services concernés ont été obtenus. Les questionnaires ont été distribués au personnel médical et paramédical en leur demandant de les remplir, après explication sur l'enquête envisagée. L'accès aux données n'a pas perturbé ou altéré le fonctionnement des services desdits CHU. L'anonymat des réponses a été garanti par le recueil de l'ensemble des documents préférablement mis dans les enveloppes. Tout au long de l'étude, cet anonymat a été respecté, tous les participants ont été dépersonnalisés. Cette étude a été approuvée sur le plan éthique et scientifique par le comité scientifique de la Faculté de Médecine d'Antananarivo. Toutes les procédures de l'étude ont été menées conformément à la déclaration d'Helsinki. Tous les auteurs ont eu accès aux données de l'étude, ont revu et approuvé le manuscrit final avant sa soumission.

 

 

Résultats Up    Down

Fiches retenues

Durant la période d'étude, après avoir distribué 103 questionnaires, le retour global était de 93% soit 96 prestataires de soins. Après avoir exclu les documents qui ont présenté des critères d'exclusion, 86 ont été retenus (Figure 1). Les prestataires de soins enquêtés et recrutés avaient été impliqués dans au moins un EIG. Pour limiter les biais éventuels et permettre une meilleure interprétation des résultats, il était demandé au prestataire de soins de se référer aux évènements indésirables graves qu'ils considéraient comme les plus marquants, qui ont eu le plus de conséquences sur lui/elle.

Population de l'étude

La population de l'étude à prédominance féminine (sex ratio = 0,91) était âgée de 37 [21-61] ans. La majorité [71% (n=61)] était en couple (Tableau 1). La population de l'étude était composée majoritairement des médecins assistants [36% (n=31)] et des IADEs (22% (n=19)) (Tableau 1). Avant de débuter à travailler en réanimation et/ou au bloc opératoire, 9% présentaient déjà des antécédents médicaux (Figure 2).

Evénements indésirables graves

Les EIG auxquels était confronté le prestataire des soins allaient d'une aggravation de la pathologie initiale au décès du patient et pouvaient survenir à des fréquences différentes (Tableau 2). Une grande majorité, 89% (n=77), avait déclaré que les EIG survenaient le plus souvent au cours des gestes de réanimation du patient et pour 28% (n=24) au cours des procédures d'anesthésie (Tableau 2). Trente-quatre soignants (39%) ont déclaré que la cause la plus fréquente des EIG liés aux prestataires de soins était la fatigue importante (Tableau 2).

Syndrome de « seconde victime »

Parmi les 86 prestataires de soins impliqués dans un EIG, 84 (98%) étaient concernés par le syndrome de la seconde victime car ont exprimé avoir eu au moins un ressenti émotionnel et/ou un symptôme physique et/ou psychologique après l'EIG (Figure 3). Des symptômes physiques étaient présents chez 43 soignants. Les médecins assistants constituaient le groupe le plus touché (19,8%) par les symptômes physiques (Figure 3). En outre, 57 prestataires de soins ont présenté des symptômes psychologiques touchant surtout les médecins assistants (23,2%). La catégorie ou le grade n'avait d'influence ni sur la survenue de symptôme physique (p = 0,850) au décours d'un EIG ni sur la survenue de symptôme psychologique au décours d'un EIG (p=0,451) (Figure 3). Une pathologie médicale était acquise durant leur travail en réanimation et/ou au bloc opératoire, pour 27 cas (31%) (Figure 2). Après comparaison, une différence significative a été observée entre les pathologies déjà présentes avant de travailler en réanimation/bloc opératoire et celles contractées en travaillant ou après avoir travaillé dans ce milieu (p<0,001) (Figure 2). Des signes physiques comme les céphalées (26%, n=22) se présentaient après l'annonce d'un EIG à la famille ou au patient lui-même; suivi de 16% (n=14) de cas de palpitations à la suite d'une annonce d'un EIG (Figure 3). Parmi les 86 prestataires de soins enquêtés, 66% (n=57) ont déclaré avoir eu des symptômes psychologiques après la survenue d'un EIG. Le symptôme psychologique le plus ressenti (50% n=43) était la remémoration. Par ailleurs, 7% (n=6) ont affirmé s'être retirés devant un cas similaire les fois d'après. Les signes d'épuisement émotionnel ont été présents chez 68 soignants (79%) tandis que ceux de la dépersonnalisation et de la diminution de l'accomplissement personnel ont été présents chez 44% et 50% respectivement (Figure 4).

Impact professionnel

Après la survenue des EIG, 28 prestataires de soins (33%) ont déclaré avoir pris un arrêt après avoir vécu un EIG contre 58 prestataires de soins (67%) qui eux, n'ont jamais pris d'arrêt du travail au décours d'un EIG. Parmi les 28 ayant pris un arrêt 26% ont pris un arrêt type « pause » et 7% ont pris un arrêt type « congé » après la survenue de l'EIG. Le temps qui séparait la survenue de l'EIG et la prise d'un arrêt allait de 4 heures (23%) après la survenue de l'EIG jusqu'à au-delà d'une semaine (1%). Pour 6% (n=5), cet arrêt se faisait 24 heures après l'EIG et pour 2% (n=2) une semaine après l'EIG. Après la survenue de l'EIG, 93% des prestataires de soins ont poursuivi leur activité, néanmoins 65% ont ressenti un impact délétère sur leur travail futur. Seize soignants (19%) ont envisagé de se reconvertir, dix soignants (soit 12%) d'abandonner leur activité professionnelle. Pour les prestataires de soins ayant annoncé les aggravations: 72 sur les 86 soignants soit 84% des soignants étaient d'accord pour une cellule de soutien pour les soignants ayant annoncé la mauvaise nouvelle sur les aggravations. Pour les prestataires de soins ayant annoncé les décès: 70 sur 86 soit 81% des soignants étaient d'accord pour une cellule de soutien pour les soignants ayant annoncé la mauvaise nouvelle sur les décès.

Suggestions émanant des soignants

Au cours de leur travail en réanimation et/ou au bloc opératoire, quelques prestataires de soins, ayant été impliqués dans les EIG, ont proposé des suggestions afin d'améliorer le devenir du soignant (la seconde victime) à la suite des EIG. Il a été constaté que 14% d'entre eux suggéraient un soutien psychologique, 9% une formation pour l'annonce d'un EIG, 2% une amélioration du plateau technique, 2% un soutien professionnel par les supérieurs hiérarchiques et 1% une réduction des heures de travail.

 

 

Discussion Up    Down

Le personnel en anesthésie-réanimation à Madagascar est encore d'un nombre très largement insuffisant pour la population Malagasy. Avec une densité très faible (0 à <1/100 000 habitants) d'anesthésistes et par la même de réanimateurs, de l'ordre de 0,23 par 100000 habitants [9], il est difficile de pourvoir tous les centres hospitaliers de ces spécialistes. Aussi des médecins assistants et les médecins en formation spécialisante renflouent les rangs pour les activités journalières dans les services d'Anesthésie - Réanimation - Urgences et de bloc opératoire. En outre les IADEs, sont prépondérants dans les blocs opératoires; une grande partie de la charge d'anesthésie repose sur eux. Ceci explique le faible effectif de cette étude.

Adhésion à l'enquête

L'étude a été effectuée au sein de cinq CHU d'Antananarivo. Quatre-vingt-six (86) sur 103 prestataires de soins ont rempli et répondu correctement au questionnaire dont des médecins anesthésistes-réanimateurs (12%), des médecins assistants (36%), des internes de spécialité en anesthésie - réanimation (12%), des infirmiers anesthésistes (22%), et des infirmiers généralistes (19%). Cette adhésion semble satisfaisante, notamment comparée à des études antérieures portant sur le même sujet et enquêtant les médecins (anesthésistes ou non, ou d'autres spécialités [médecine interne, chirurgiens, pédiatres, etc]) et/ou les infirmiers (généralistes et/ou anesthésistes) [8-12].

Les études réalisées, comme celles de Han et al. [13] et Ullström et al. [14], consistaient en particulier à l'étude du stress sur la santé physique et psychologique et la notion de « seconde victime ». Cette étude constitue un des premiers travaux sur l'étude de la « seconde victime » à Madagascar et son atout majeur est qu'elle a été réalisée dans les cinq centres hospitaliers universitaires d'Antananarivo à Madagascar. En outre, cette notion de « seconde victime » est récente est mérite d'être étudiée du fait des conséquences délétères qu'elle peut avoir sur le soignant, d'autant plus que ce dernier est le plus souvent confronté à des événements indésirables graves, surtout en milieu d'anesthésie et de réanimation.

Type et fréquence de survenue des évènements indésirables graves

Dans la présente étude, la majorité des prestataires de soins (89%) avaient confié que le type d'événement indésirable grave le plus fréquemment rencontré était le décès du patient. Ces chiffres sont assez similaires à la littérature: 58,9% à 70% de soignants impliqués dans un EIG, lesquels 120000 à 190000 auraient pu être évités se produisent chaque année pendant l'hospitalisation [10,15]. Ces EIG sont à l'origine de 9,2 à 33% de décès [3,15]. En outre, il a montré que des événements indésirables évitables ont contribué à la mort de 3000 patients par an et qu'un incident lié à la sécurité des patients peut ne pas causer de préjudice au patient (74,8%) ou au contraire entrainer la mort (1,7%) [16,17]. Ce nombre important de décès des patients dont les soignants en sont témoins, retrouvé dans la présente étude, est lié à l'admission des patients dans des circonstances particulières, à l'exposition à des soins invasifs (en particulier en réanimation et en soins intensifs) mais également à l'inaccessibilité (dues aux moyens financiers limités) aux soins par les patients, liée au coût des médicaments exorbitant en réanimation et à l'insuffisance du plateau technique. Dans cette étude, 89% (n=77) des soignants ont déclaré que l'EIG survenait au cours des gestes de réanimation et pour 28% au cours des procédures d'anesthésie. L'anesthésie et la réanimation sont deux entités où les soins sont le plus souvent invasifs et lourds et cause d'EIG fréquents: 61% liés à un geste invasif, 28% à une intervention chirurgicale, 4% à une iatrogénie médicamenteuse et 7% aux soins de nursing [15]. Les causes évoquées étaient la fatigue (39%), le manque d'expérience (27%), l'hésitation (17%), la surcharge de travail (5%), le défaut de matériels (3%) et les causes iatrogéniques (1%). Ces résultats convergent parfois avec ceux retrouvés dans la littérature où les causes d'erreurs (liées aux prestataires de soins) variaient beaucoup et étaient constituées de: une surcharge de travail (51%), une inexpérience (42%), une fatigue importante (41%), une erreur de procédure médicale (33%), une hésitation trop longue (32%) une erreur de dosage ou de traitement (20%), une erreur de jugement (15%), l'oubli (12%), une erreur de prescription (10%), une erreur de diagnostic et également une confusion entre deux patients (5%) [12].

D´autres études ont ressorti d´autres facteurs expliquant le risque élevé d´erreur dans les services de soins intensifs : le contexte d'urgence, les états pathologiques graves des patients, la coordination importante des moyens humains, la complexité des procédures diagnostiques et thérapeutiques et l´utilisation de procédures et les moyens techniques de plus en plus sophistiqués [18, 19]. La survenue d'erreurs dues à la fatigue dans la présente étude est fortement liée au manque de sommeil en rapport aux longues heures de gardes et des jours de repos réduits par rapport à la lourde tâche qu´implique le travail en réanimation et au bloc opératoire. Lors de la phase de recrutement des soignants pour participer à cette étude, il a été parfois difficile de les approcher, voire un rejet ou un report à un autre jour a été constaté vis-à-vis des prestataires de soins qui alléguaient une charge de travail trop importante pour répondre à la demande d´enquête.

Impact physique

Parmi les 86 prestataires de soins ayant fait face à des EIG, il a été retrouvé entre autres que 9% ont développé une élévation de la pression artérielle, 1% des troubles du sommeil, 16% des troubles du rythme cardiaque, 13% des troubles digestifs et 26% des troubles neurologiques après un EIG au cours de leur travail en réanimation et au bloc opératoire. Assister à un EIG n'est pas dénué de conséquences. Les troubles du rythme cardiaque sont la répercussion la plus fréquente (42 à 52%) de même que l'élévation de la pression artérielle (40 à 42%) et les troubles du sommeil (19 à 45%) [7,8,20,21]. La fatigue extrême (2 à 56%), les troubles neurologiques à type de céphalées (15%), les tensions musculaires (17 à 45%) ont été également retrouvés [7,8,20].

Impacts émotionnel et psychologique

Parmi les 86 prestataires de soins ayant fait face à un EIG, plus de la moitié soit 66% ont déclaré avoir ressenti des symptômes psychologiques. Cet impact émotionnel est bien réel auprès des soignants témoins d'EIG avec de la frustration (34,6 à 77%), la dépression (55%), la remémoration (37,5 à 52%), la culpabilité (1,9 à 72%) et un sentiment de peur et de confusion (11,5%) ou de regret (2,8%) [7,13,16,22,23]. Aussi, il ne faut pas minimiser cet impact émotionnel et pourvoir au soignant un support psychologique. En effet la colère (15 à 68%) principalement dirigée contre l'équipe et son absence de soutien, peut survenir et détériorer la solidarité au travail; le tout pouvant entrainer la diminution de la satisfaction au travail (71%) [7,12,13].

Impact sur l'apparition du burnout syndrome

Dans cette étude, parmi les 86 prestataires de soins ayant fait face à un EIG, les dimensions du burnout syndrome avaient des degrés variables dont certains un degré sévère. Ce burnout syndrome pourrait être lié au syndrome de seconde victime; l'absence de soutien pour avoir une aide à faire face aux résultats médiocres ou aux erreurs, tout en maintenant un sens au travail et à la maison, peut augmenter la susceptibilité à l'épuisement professionnel [17,24,25]. En outre, le syndrome d'épuisement professionnel est consécutif à l'exposition à un stress professionnel chronique, traduisant une intense souffrance du soignant et concerne les professions à fortes sollicitations mentales, émotionnelles et affectives, comme la spécialité d'anesthésie réanimation.

Impact professionnel des évènements indésirables graves

Dans la présente étude, un impact professionnel majeur après la survenue d'un EIG. Ces répercussions varient d'une personne à l'autre et d'une étude à l'autre. Il pourrait s'agir d'une perte de confiance (32,5% à 56%) d'une capacité d'anesthésie compromise dans les heures suivant les EIG (51 à 67%) voire pendant une semaine entière et même plus longtemps (27 à 67%) [8,11,12,21,26]. L'arrêt d'activité 5,5%, une remise en question à un niveau professionnel (20%), une diminution de la satisfaction au travail (22 à 73%), le changement de carrière envisagé dans 12 à 27%, peuvent également être observés [8,11,12,20,21].

Syndrome de seconde victime (SVS)

Dans cette étude, parmi les 86 prestataires de soins impliqués dans un EIG, presque la totalité soit 84 soignants (98%) est atteinte par le syndrome de seconde victime car ont exprimé avoir eu au moins un ressenti émotionnel et/ou un symptôme physique et/ou psychologique après l'EIG; proportion plus élevée que celles retrouvées dans la littérature dans laquelle la fréquence était de 10,4 à 47% [10,24]. Ce taux élevé de soignant atteint du SVS après un EIG dans le service de réanimation et bloc opératoire retrouvé dans cette étude s'expliquerait par le fait que le nombre d'heures de travail et de garde de nuit y serait très élevé et que le niveau de stress est également très élevé dans ces services. En outre, certains prestataires de soins ont déclaré qu'ils trouvaient le questionnaire un peu trop invasif puisque ce dernier renvoyait à des événements douloureux qui ont possiblement eu un impact important sur l'estime du prestataire de soins et sur le prestataire de soins lui-même. Ainsi, il serait intéressant de les inviter à réellement se livrer sur leur pratiques et vécu professionnels. En raison de ce large impact, il est important d'offrir un soutien aux secondes victimes.

Limites de l'étude

Les limites de la présente étude résident sur le fait que plusieurs prestataires de soins n'ont pas voulu répondre aux questionnaires malgré l'assurance du caractère anonyme de l'enquête. En outre, l'étude a été effectuée auprès d'une partie du corps médical des prestataires de soins en réanimation et bloc opératoire (anesthésie), ce qui n'a pas reflété la totalité du corps de la santé. L'étude a été effectuée auprès des prestataires de soins travaillant dans des CHU d'Antananarivo. Ainsi, les résultats obtenus ne sont pas représentatifs de tout l'ensemble des centres de santé de Madagascar.

Validité externe

Cette étude pourrait être reproduite par d'autres études transversales ou des études longitudinales pour mieux appréhender les effets des EIG sur les soignants de la même spécialité ou d'autres spécialités, mais également afin d'évaluer la qualité du milieu de travail de ces derniers.

 

 

Conclusion Up    Down

Le phénomène de « seconde victime » est un sujet d'actualité et récent mais encore mal connu à Madagascar. Pourtant, les prestataires de soins de santé pourraient être de potentielles « secondes victimes » du fait que des événements indésirables graves puissent survenir à tout moment, en particulier dans les services de réanimation et au bloc opératoire. Souvent délaissés au détriment de la sécurité, du bien-être physique et psychologique des patients et de leurs proches lors de la survenue d'un EIG, les prestataires de soins des services de réanimation et blocs opératoires sont bel et bien confrontés aux répercussions émotionnelles, psychologiques et professionnelles après avoir vécu un événement indésirable grave.

Etat des connaissances sur le sujet

  • La notion de « seconde victime » en milieu hospitalier est récente et mérite d'être étudiée du fait des conséquences délétères qu'elle peut avoir sur le soignant;
  • Le « syndrome de seconde victime » est le fait d'un événement indésirable imprévu ayant entraîné un traumatisme physique ou psychologique chez les soignants, dans l'exercice de leur fonction.

Contribution de notre étude à la connaissance

  • À Antananarivo (Madagascar), 89% des prestataires de soins travaillant en milieu d'anesthésie-réanimation et du bloc opératoire, ont été témoins d'événements indésirables graves caractérisés par le décès du patient et ont relaté des conséquences psychologiques et physiques;
  • Le « syndrome de seconde victime » en plus d'avoir entrainé des répercussions physiques et psychologiques a eu pour conséquence l'apparition significative de pathologies, chez les soignants en milieu d'anesthésie-réanimation et du bloc opératoire, de cinq CHUs d'Antananarivo (Madagascar).

 

 

Conflits d'intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Aurélia Rakotondrainibe: conception et design de l´étude, analyse des données, rédaction générale. Harifetra Mamy Richard Randriamizao et Celeste Fortune Youmbi Pouokam: recherche bibliographique, rédaction de la discussion. Celeste Fortune Youmbi Pouokam: recueil des données. Harifetra Mamy Richard Randriamizao: analyse des données. Ratsaraharimanana Catherine Nicole Rakotoarison: validation et correction finale. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Remerciements Up    Down

Les auteurs tiennent à remercier grandement tout le personnel soignant en anesthésie-réanimation et du quartier opératoire ayant participé à l'enquête. Remerciements pour nous avoir donné de leur temps malgré leurs lourdes occupations, pour avoir répondu à notre questionnaire, pour avoir émis des suggestions au décours de l'enquête.

 

 

Tableaux et figures Up    Down

Tableau 1: caractéristiques des prestataires de soins

Tableau 2: évènements indésirables graves vécus par les prestataires de soins

Figure 1: diagramme de flux de l'étude

Figure 2: antécédents et pathologies contractées par les soignants des unités d'anesthésie - réanimation et du quartier opératoire

Figure 3: symptômes physiques et psychologiques selon le « type » du soignant

Figure 4: conséquences émotionnelles, physiques et psychologiques et degrés des dimensions du burnout syndrome

 

 

Références Up    Down

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